Ils attrapèrent le bac de Carl Theodor Dreyer (De nåede færgen - 1948)

Publié le par BERENICE21

Le thème de la sécurité routière, qui forme l'un des arrières-plans de Carancho, a été abordé de manière plus direct par de grands cinéastes, par le biais notamment de films de prévention. Ce fut le cas, par exemple, de Carl Theodor Dreyer. Suite à l'insuccès du sublime Jour de colère, le réalisateur danois se trouva en effet dans l'obligation de vivre de courts métrages de commande, parmi lesquels figure Ils attrapèrent le bac (De nåede færgen).

Tourné en octobre 1947, d'après une nouvelle de Johannes V Jensen publiée dans un recueil intitulé Mythes, ce film raconte l'histoire d'un motocycliste et de sa compagne arrivant par bateau à Assens, à l'ouest de l'île de Fionie. Avant l'accostage, ils demandent à un officier de bord l'horaire du bac de Nyborg. Ils apprennent alors qu'ils ont moins de trois-quarts d'heure pour le rejoindre. Et 70 kilomètres à parcourir.



A peine débarqué, le motard se lance donc dans une folle course contre la montre, seulement interrompue par un court arrêt à une station essence. La route, d'abord rectiligne, est très encombrée, l'obligeant à slalomer entre des engins agricoles, des charrettes, des troupeaux... Puis elle devient sinueuse. Le conducteur n'en réduit pas pour autant son allure. Le compteur indique 100 km/heure...



Mais à une bifurcation, le jeune homme se trompe de direction, le contraignant à rebrousser chemin et à encore accélérer. La moto rejoint bientôt une voiture. La passagère reconnaît en elle l'étrange véhicule -une cage thoracique est peinte à l'arrière- qui se trouvait à bord du navire les ayant amenés à Assens. Le motard s'apprête à la doubler, quand celle-ci se met soudain à zigzaguer pour empêcher sa manœuvre. Il a néanmoins le temps d'apercevoir le visage de l'homme se trouvant à bord : son teint cireux donne l'impression qu'il porte un masque mortuaire. Finalement, l'automobile serre le bas-côté, entraînant ses poursuivants contre un arbre...



A Nyborg, le bac quitte le port. Derrière lui, une barque fantomatique glisse sur l'eau, transportant dans des cercueils blancs les corps des deux motocyclistes. Deux mouettes survolent la funèbre embarcation...

 

Ils attrapèrent le bac, courte bande d'une douzaine de minutes, va donc bien au-delà de son simple message éducatif. Il s'agit d'une véritable œuvre à la force expressionniste étonnante et chargée de symbolisme (le plan final n'est pas sans évoquer L'île des morts, du peintre suisse Arnold Böcklin). Alain Robbe-Grillet disait d'elle qu'elle lui procurait la révélation de ce qu'un réalisme imaginaire pouvait être au cinéma (Berlingske Tidende, 12 janvier 1964). On ne saurait mieux qualifier ce film.

Ce court métrage est proposé en supplément de l'édition DVD de Vampyr, commercialisée par MK2.


Publié dans Dreyer Carl Theodor

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