L'espion noir de Michael Powell (The spy in black - 1939)
En 1917. Sous la pression de lamiral Tirpitz, lAllemagne mène une guerre sous-marine à outrance en coulant tous les navires se rendant au Royaume-Uni, même les neutres. Les Allemands espèrent ainsi étouffer léconomie britannique et la contraindre à se retirer du conflit. Cest dans ce contexte que le capitaine Hardt (Conrad Veidt), commandant de lU-Boot 29, reçoit lordre de reprendre la mer. Mais il ne sagit pas cette fois dune mission de combat. Lobjectif est de rejoindre avec son sous-marin larchipel des Orcades, au nord de lEcosse, et dentrer en contact avec Frau Tiel (Valerie Hobson), une espionne allemande ayant pris lidentité dune institutrice, Anne Burnett (June Duprez). Débarqué de nuit sur la côte écossaise, Hardt entre bientôt en relation avec la jeune femme, qui lui fait rencontrer le lieutenant Ashington (Sebastian Shaw), un officier anglais aigri davoir été dégradé à la suite du naufrage de son navire à Chypre. Il offre la possibilité à Hardt dattaquer la flotte britannique au mouillage dans lîle
Lespion noir, adaptation dun roman de J Storer Clouston, est une curiosité à plus dun titre. Dabord parce quil marque la première collaboration entre Michael Powell et Emeric Pressburger. Une rencontre rendu possible par Alexander Korda, l'un des principaux artisans de l'industrie du film britannique de lépoque (il est le fondateur de
Lespion noir, film de genre somme toute assez classique, nen est pas moins pleinement maîtrisé. Le récit se déroule avec précision, sans temps mort, multipliant les renversements de situation, les fausses pistes. Comme dans un film dHitchcock (il faut se souvenir que Powell fit la connaissance de celui-ci sur le tournage de Champagne, où il officiait en tant que photographe de plateau, et qu'il l'assista ensuite sur Blackmail), le suspense est parfaitement préservé jusquà la fin. Les paysages brumeux des Orcades contribuent largement à entretenir ce climat de tension, que nuance néanmoins avec bonheur une galerie de seconds rôles assez pittoresques, en tête desquels on peut citer le révérend Matthews (Athole Stewart) et sa femme (Agnes Lauchlan), ainsi que le fiancé dAnne Burnett, le révérend Harris (Cyril Raymond), dont larrivée inopinée donne lieu à une scène pleine d'humour.
Sur le plan esthétique, on relèvera linfluence encore marquée de lexpressionnisme allemand, que lon doit sans doute à Alexander Korda, qui travailla à Vienne et Berlin dans les années 1920. Lun des plus beaux plans du film -celui où Hardt surprend la conversation entre Frau Tiel et le lieutenant Ashington- sinscrit dailleurs fortement dans ce mouvement artistique.
Ce film est encore loccasion de revoir, dans lune de ses dernières apparitions à lécran, Conrad Veidt, célèbre pour avoir tenu le rôle de Cesare dans Le Cabinet du docteur Caligari (1920). Il fut également à laffiche du très beau Cabinet des figures de cire (1928) de Paul Leni et Leo Birinsky. Son personnage dans L'Homme qui rit, du même Paul Leni, inspirera plus tard celui du Joker, ennemi juré de Batman. Avant son décès, en 1943, il eu loccasion de retourner sous la direction de Michael Powell, dans le remake du film de Raoul Walsh, Le voleur de Bagdad, puis incarna le major Strasser dans Casablanca (1942), de Michael Curtiz. On retiendra également la présence à laffiche de Lespion noir de Marius Goring, qui débuta sa carrière dans Rembrandt de Korda et tiendra en 1948 le rôle de Julian Craster dans Les chaussons rouges.
Faisons un rêve, pour conclure : que ce film bénéficie un jour dune édition DVD