Shutter Island de Martin Scorsese (2009)
Il y a dabord un tour de force scénaristique (à la manière de Sixième sens, de M. Night Shyamalan), qui amène le spectateur à se demander à partir de quel moment il a été abusé (à supposer, bien sûr, quil nait pas lu le livre de Dennis Lehane, dont le film est adapté). Et il se rend compte, avec un plaisir mêlé dadmiration, que lon sest joué de lui dès la première image, ou presque, lorsque Teddy Daniels-Leonardo DiCaprio et Chuck Aule-Mark Ruffalo abordent lîle, lorsquils se voient obligés de remettre leurs armes aux policiers qui gardent lhôpital, lorsquune internée accueille Teddy Daniels avec un signe de la main, qui est comme une reconnaissance Et, dès le film achevé, on voudrait pouvoir le revoir, afin de repérer tous ces indices Ce procédé, par la confusion quil crée dans lesprit du spectateur dans sa perception de la réalité, permet en outre à ce dernier de sidentifier davantage au personnage interprété par Leonardo DiCaprio (excellent), plus antihéros que jamais.
A souligner également (du moins dans sa première partie) lesthétique baroque du film (que ce soit les extérieurs ou les intérieurs), qui est comme le symbole du labyrinthe mental dans lequel est perdu Teddy Daniels. Une esthétique qui évoque un tableau dArnold Böcklin, peintre dont luvre minterroge autant que celle de Caspar David Friedrich (voir la critique de Lovely Bones) : L'île des morts, une toile représentant une île au coucher du soleil, vers laquelle se dirige une embarcation conduite par un homme drapé dun linceul (Charon).
Larrière-plan historique du film (le nazisme) renforce encore lambiance paranoïaque dans laquelle évoluent les personnages. Ce contexte est dailleurs pour moi plus important que la trame policière, laquelle nexisterait pas si Teddy Daniels navait pas connu lexpérience de la libération des camps de la mort.
Shutter Island constitue tout de même dune uvre à part dans la filmographie de Martin Scorsese, où lon reconnaît moins son style (ici particulièrement sombre et désespéré). Peut-être est-ce dû au fait quil sagit dune adaptation, mais Scorsese se fait ici plus illustrateur que créateur. On peut aussi regretter un certain manque de rythme. Défaut qui sévanouit évidemment lorsque lon découvre le secret des protagonistes. Mais avant den arriver là, le cheminement est parfois un peu lent