Alice au pays des merveilles de Tim Burton (Alice in Wonderland - 2009)

Publié le par BERENICE21

Il est de bon ton de dire le plus grand mal du dernier film de Tim Burton. On parle à son sujet de mièvrerie. Burton aurait (insulte suprême ?) vendu son âme au diable, c'est-à-dire à Disney (il ne faut pas oublier que cette collaboration, qui paraît aujourd'hui si indigne à certains, est assez ancienne, car, natif de Burbank, où se trouve le siège social de Disney, Burton a commencé sa carrière dans cette firme, en 1979 !)... L’esprit de l’œuvre de Lewis Carroll aurait été dénaturée. Cette dernière critique (très fréquente chez les spectateurs qui n’ont pas aimé le film) me surprend d’ailleurs beaucoup. Je n’imaginais pas qu’Alice au pays des merveilles faisait autant partie de la culture littéraire des Français… Je pense surtout que le film n’est pas conforme à l’image qu’ils se font du livre. D’ailleurs, la plupart de ceux qui reproche à Burton sa trahison n’ont même remarqué que son film est une adaptation (libre) de deux romans de Lewis Carroll : Alice's adventures in Wonderland et Through the looking-glass (De l'autre côté du miroir). Alors, combien parmi ceux qui utilisent cet argument pour fonder leur critique ont REELLEMMENT lu Alice ? Bien peu, à mon avis (et j'avoue que j'en fais partie)... Quoi qu'il en soit, je pense qu'une adaptation réussie doit être infidèle à l'oeuvre originale. En effet, si elle ne se teinte pas de la sensibilité de l'artiste qui se l'est appropriée, elle n'est qu'un "copier-coller" sans saveur.

Je ne suis donc pas d'accord avec ce concert de critiques. D’abord parce que je me réjouis que Tim Burton se soit (enfin) détourné de ses obsessions gothiques, qui ont culminé avec l’insoutenable -car très gore- Sweeney todd.

Alice in Wonderland est en outre une merveille d'animation, surtout si on le voit en 3D, ce qui me paraît encore plus justifié que pour Avatar. Car, en dépit de la perte de luminosité imputable à cette technologie, le dimensionnement de l’image donne au spectateur le sentiment d’une réelle "traversée du miroir", qui commence par une plongée étourdissante dans la terre, pour aboutir dans un Wonderland enchanteur et flamboyant.

Mia Wasikowska. Walt Disney Studios Motion Pictures France

Evoquons maintenant les accusations de mièvrerie portées contre Burton. Le Wonderland, malgré son foisonnement de couleurs et de formes, comporte un côté obscure, qu’incarne la Reine Rouge, superbement interprétée par Helena Bonham Carter. Les habitants du Wonderland vivent sous sa tyrannie, que symbolisent son château (avec ses douves où flottent les têtes de ses ennemis et son décor rouge sang) et le sadisme dont elle ne cesse de faire preuve. Ainsi, sous son joug, les animaux ne cessent d’être maltraités, asservis, contrairement à ce que l’on voit habituellement dans les productions labellisées Disney.

Helena Bonham Carter. Walt Disney Studios Motion Pictures France

La face lumineuse du Wonderland, avec sa Reine Blanche exagérément éthérée et maniérée (Anne Hathaway), apparaît quant à elle comme une parodie des contes de fées si chers au père de Blanche-Neige.

Si on pousse un peu (trop ?) l'analyse, on peut se demander dans quelle mesure les papillons qui peuplent le Wonderland n'évoquent pas Vladimir Nabokov. Ce dernier était en effet un distingué lépidoptériste, qui fut chargé dans les années 1940 de l'organisation de la collection de papillons du Museum of comparative zoology de l'université d'Harvard. Cette discrète allusion à l'auteur de Lolita ne renverrait-elle pas alors à l'intérêt pour le moins suspect que portait Carroll aux petites filles ?

Le Wonderland de Burton est donc loin d'être le monde enfantin et fade que certains se plaisent à décrire. Il est bien plus complexe (mais d'une manière infiniment subtile, car jamais ostentatoire), signe que son auteur ne s’est pas laissé « pervertir artistiquement » par le grand Satan du dessin animé…

Sous ses dehors fantaisistes et divertissants, Alice me paraît en outre être une intéressante réflexion sur l'adolescence. Ainsi, Mia Wasikowska (très belle révélation), qui ne cesse de changer de taille (« trop grande ou trop petite », comme l'observe le chapelier fou (Johnny Depp, magnifique d’extravagance)), a du mal à se trouver dans son corps. Et tout son parcours, jusqu’à la bataille contre le Jabberwocky, semble être une quête identitaire (comme l'est l'adolescence).

Cette quête est précisément le thème de l'arrivée d'Alice dans le Wonderland, où ses habitants n’ont de cesse de l’interroger sur son identité : qui es-tu ? lui demande la chenille. C'est d'ailleurs après la métamorphose de celle-ci qu'elle prendra vraiment conscience d'elle-même et achèvra sa propre mue. Le papillon et la jeune femme se retrouveront plus tard dans le monde réel, tout deux devenus enfin adultes.

Mia Wasikowska. Walt Disney Studios Motion Pictures France

Au final, Alice au pays des merveilles est une belle œuvre, mélange de poésie, d'humour et de non-sens, portée par d’excellents interprètes.



Publié dans Burton Tim

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T
Mouais, et ben pas autant emballé que toi sur cet Alice... Je suis d'accord avec toi : une oeuvre, pour être oeuvre à part entière, doit s'approprier son original, le dépasser, le transfigurer, le faire "crier". Mais là, je crois que Burton est vraiment allé à contre courant complet : plutôt que de noyer dans du non-sens complet, il nous livre une oeuvre d'une linéarité et d'une logicité les plus fades qui soient... Belle réussite esthétique, mais le fond, le fond... Et tu ne parles pas de l'odieuse, de la misérable fin ! M'enfin pour moi, c'est le pire Burton.
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M
Merci pour votre commentaire...
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L
Wow, excellent billet, je vous remercie de partager cette astuce, et je \"plussoie\" cette positon ! Euh voilà, votre billet est vraiment bien bon, j\'ai adoré vous lire ! PS : Vous avez une très belle plume, chapeau bas !
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