Black swan de Darren Aronofsky (2010)

Publié le par BERENICE21

Nina (Natalie Portman) est danseuse au New York City Ballet. Entièrement vouée à son art, la jeune femme est prête à tous les sacrifices pour atteindre la perfection, y compris à perdre la raison. Elle est encouragée dans cette voie destructrice par Erica, sa mère (Barbara Hershey), une ancienne danseuse qui reporte sur elle le poids de ses ambitions déçues, et par Thomas Leroy (Vincent Cassel), le chorégraphe de la compagnie. Celui-ci va en effet la pousser au-delà de ses limites afin de faire ressortir le côté obscur de sa personnalité, et ainsi lui permettre d’interpréter le Cygne noir dans une adaptation révolutionnaire du Lac des cygnes. Pour cela, il n’hésitera pas à la mettre en concurrence avec Lilly (Mila Kunis), une nouvelle venue…

Un film qui m’a happé dès la première scène : la musique de Tchaïkovski, l’éclairage expressionisme dans lequel évoluent Rothbart et le Cygne blanc, le mouvement virtuose de la caméra autour des deux personnages, m’ont littéralement plongé dans le cauchemar de Nina. Ce que n’avait pas réussit Nolan avec Inception (je parle évidemment pour moi...).

Pour cette œuvre à la beauté sombre, baroque, l’auteur de Pi opte ici pour un style brut, filmant Nina caméra à l'épaule, souvent de manière subjective, ce qui a pour effet de restituer pleinement son énergie, sa souffrance. Certes, ne soyons pas complètement naïf : la multiplication de plans serrés a sans doute aussi pour objectif de dissimuler certains trucages, des doublages… Il n’empêche, le résultat est là : on ressent viscéralement les émotions de la ballerine, sa plongée dans l’abîme. Expérience étrange et déconcertante, et cependant fascinante, hypnotique, puisque finalement il devient difficile pour le spectateur lui-même de faire la distinction entre le réel et le fantasme. Comme s’il n’était plus simplement observateur, mais aussi acteur, par identification à Nina.

Natalie Portman. Twentieth Century Fox France

Bien sûr, Black swan ne nous procurerait pas ces sensations sans son casting. Natalie Portman, présente à chaque plan, investit son rôle avec la même implication physique et psychique qu’une Charlotte Gainsbourg dans Antichrist. Vincent Cassel, inquiétant mentor de la jeune femme avec son visage de faune, livre ici l’une de ses prestations les plus aboutie. On citera également les belles performances de Winona Ryder, bouleversante en danseuse étoile déchue et humiliée ; de Mila Kunis, qui insuffle à son personnage sa nature instinctive, animale ; enfin, de Barbara Hershey, qui nous rappelle ici qu'elle fut l'une des actrices les plus marquantes des années 1980 (entre autres, L'étoffe des héros, Hannah et ses soeurs, La dernière tentation du Christ).

Depuis la sortie de Black swan, nombre de commentateurs (professionnels ou blogueurs) ont été tentés par une comparaison avec Les chaussons rouges (1948). C’est une démarche certes séduisante, mais à mon sens pas complètement pertinente, car si ces deux films évoquent le monde secret de la danse classique, si tous deux mettent en scène une héroïne consumée par le désir d’excellence, si leur épilogue est également tragique, il n’y a rien de commun entre la flamboyance du chef-d’œuvre de Michael Powell et d’Emeric Pressburger -ce n’est pas pour rien que Martin Scorsese dit à son propos qu’il s’agit du plus beau film en technicolor- et les choix esthétiques de Darren Aronofsky. De plus, Les chaussons rouges ne baignent pas dans la même atmosphère schizophrénique mêlée de fantastique que Black swan. Si l’on devait absolument trouver une filiation à ce dernier, il me semblerait plus juste d’évoquer Répulsion (1966) de Roman Polanski, pour la dérive psychotique de son héroïne, ou La mouche (1986) de David Cronenberg, pour ses transformations corporelles.

Deux interrogations, avant de conclure. Black swan est-il un film révolutionnaire ? Probablement pas. De toute façons, je ne crois pas qu’il y ait de révolution en matière d’art. A la rigueur, j’admets des tournants décisifs, dus à quelques génies. Car, comme je l’ai dit par ailleurs (désolé Fred…), chaque grand créateur se nourri de ce qui l’a précédé. Il n’y a pas de génération spontanée. Ainsi, dans Citizen Kane (re-désolé Fred…), Orson Welles ne fait-il que reprendre des innovations de réalisateurs qui l’ont précédé (Marcel Carné recourut au flashback dès 1939, dans Le jour se lève). Sa véritable contribution réside dans leur systématisation.

Black swan est-il un chef-d’œuvre ? Il serait bien présomptueux de prétendre répondre à cette question avec aussi peu de recul. L’histoire de la critique montre que celle-ci n’a pas toujours eu cette élémentaire prudence, encensant des films vite oubliés, se livrant par ailleurs à un jeu de massacre contre des œuvres aujourd’hui unanimement saluées. Restons donc modeste et contentons-nous de dire que Black swan restera sans doute assez longtemps dans les mémoires des spectateurs comme un tourbillon d’émotions d’une intensité rare. C’est déjà beaucoup.

It was perfect, lance Nina dans un dernier souffle à Thomas à la fin du film. C’est aussi mon sentiment. Et si je ne vous ai pas convaincu, faites une visite chez mymp, qui nous livre une analyse dont l'éloquence et l'intelligence font une nouvelle fois mouche (dit avec admiration et une pointe de frustration quant à mes limites...).



Publié dans Aronofsky Darren

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C
Je vais essayer de réparer ça très très vite... Mais c'est vrai que c'est assez impardonable, pour quelqu'un qui aime autant que moi Haneke. J'ai d'ailleurs été particulièrement fasciné par Le ruban blanc. C'est vrai, comme tu l'observes dans ta critique, qu'il y a un certain manque d'émotion dans ce film, mais sa radicalité, sa précision, sa perfection, sa grande beauté plastique, en font pour moi l'une des plus belles réussites de ces dernières années. Bon, cela tient sans doute aussi au fait que ma formation d'historien m'a amené à m'intéresser, entre autres, à l'histoire de l'Allemagne des années 1910-1945 (d'où mon grand intérêt pou le cinéma expressionniste).
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M
Je suis moultement choqué, Christophe, qu'un cinéphile aussi averti que toi n'aies pas vu La pianiste ;) En espérant que tu le voies bientôt (je t'envie que tu puisses le découvrir pour la première fois, pour moi c'est terminé depuis longtemps !) et que tu rédiges un bel article dessus, sur le film et sur tes impressions.<br /> Comme toi, j'attends le nouveau Cronenberg, un de mes cinéastes préférés, même si, depuis pas mal de temps (presque depuis eXistenZ en fait), j'aime de moins en moins ce qu'il fait.
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C
Et tiens toi bien, j'ai réussi aussi à citer Inception dans ma critique sur Tron, que je vais mettre en ligne tout à l'heure ! C'est ma bête noire...
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S
Arriver à coller "Inception" dans une critique sur "Black Swan" ! Décidément tu ne te remet pas du film de Nolan !<br /> A part ça, comme toi j'ai plongé dans le cauchemar de Nina, et je crois que c'est vraiment la force de "Black Swan", nous plonger littéralement dans la tête de son héroïne au point de, comme elle, ne plus discerner le vrai du faux.<br /> Parler de chef d'œuvre est effectivement un peu prématuré, mais on peut déjà dire qu'il s'impose comme un des favoris de 2011.
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C
Je dois avouer, à ma grande honte, et malgré mon admiration pour Haneke, que je n'ai jamais vu La pianiste. Ce que tu m'en dis, mymp, va m'inciter à corriger cela... En tous cas, mercie pour le compliment<br /> <br /> Merci également Chris ! Cela me fait plaisir. J'ai vu que tu as encore développé ta très belle critique, notamment en évoquant les affiches : je suis d'accord avec toi, il y a là un superbe travail. Elles sont toutes plus belles les unes que les autres...<br /> <br /> PierreAfeu : l'occasion devrait bientôt se présenter de débattre sur Cronenberg. Enfin, j'espère que A dangerous method sortira au cours du premier semestre...
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